Présentation de l’équipe EMOI – Evolution des Marchés, Organisations et Inégalités

Responsables : Ariane Ghirardello et Hélène Tordjman.
Axes de rattachement : Axe 1 (MFI) et Axe 2 (DIM).

Problématique

Le projet du programme EMOI est fondé sur le constat de convergences entre chercheurs du CEPN sur l’intérêt de développer une analyse des marchés et des organisations ainsi que leurs impacts sur les inégalités. En effet, la compréhension des mutations du capitalisme contemporain nécessite une analyse fine de l’évolution de ses formes réglementaires et institutionnelles. Cela est particulièrement clair en ce qui concerne l’un des faits majeurs de ces dernières décennies : l’extension de la sphère marchande qui englobe des domaines et d’activités qui leur étaient auparavant étrangers. Des services traditionnellement publics comme l’éducation tendent aujourd’hui à être gérés selon le seul critère de l’efficacité économique et des pans entiers de la connaissance et de la nature entrent dans l’orbite du marché, via la multiplication des droits de propriété intellectuelle et la mise en place de cadres juridiques internationaux normalisant ces objets en incitant la valorisation marchande. Ainsi, la règle et la loi participent directement à l’émergence de ces nouveaux arrangements et témoignent du caractère construit de l’institution marchande. L’étude des processus et des acteurs à l’origine de ces changements institutionnels nous retiendra tout particulièrement.

En effet, ce contexte de plus en plus compétitif modifie les stratégies des acteurs économiques et tout d’abord des firmes. Les plus puissantes d’entre elles orientent à leur profit l’élaboration des lois, normes, standards et autres codes de bonne conduite (e.g. la Responsabilité sociale de l’entreprise), et ce d’autant plus que ces règles et lois sont produites par des réseaux d’acteurs (institutions internationales, ONG, syndicats professionnels) dont elles sont parties prenantes. Les autres s’adaptent comme elles le peuvent à travers des restructurations organisationnelles majeures. La désintégration verticale dont résulte notamment le développement accru de la sous-traitance est une première illustration de ces évolutions. L’importance croissante accordée aux fournisseurs d’actifs humains décisifs, les employés en premier lieu, est également emblématique de ces réorganisations.

Ainsi, la domination de l’institution marchande, en produisant une évolution des modes de régulation, engendre dans le même mouvement un accroissement des inégalités. Celles-ci sont particulièrement criantes sur le marché du travail où les salariés sont confrontés à la fois à une augmentation du chômage, une dualisation de la main d’œuvre, au développement des emplois pénibles, aux discriminations à l’embauche et salariales. Ceci conduit à développer, à côté des analyses positives des évolutions des marchés et des organisations, des questionnements plus normatifs portant sur les effets sociaux induits. Dans la mesure où il produit des évaluations, le mécanisme marchand sélectionne et exclut. Comment analyser alors la production de ces inégalités ? Quels types d’arrangements institutionnels pourraient permettre de limiter les conséquences destructrices de la marchandisation ?

 

Ces différentes questions seront abordées au travers de travaux relatifs aux problématiques suivantes :

  • La théorie des marchés et les dispositifs contemporains de valorisation du capital, en particulier dans des domaines immatériels comme la connaissance, le vivant, l’éducation, qui sont de plus en plus fréquemment envisagés sous l’angle de la gestion optimale d’un capital somme toute comme un autre.
  • Le rôle de la structuration juridique et institutionnelle des marchés, tant dans l’évolution des marchés existants (en particulier les marchés de facteurs, capital et travail) que dans la création de nouveaux marchés ; la confrontation des théories économiques et juridiques des droits de propriété et la façon dont ces théories donnent forme à des arrangements institutionnels spécifiques (avec une attention particulière aux régimes de la propriété intellectuelle).
  • Les politiques de la concurrence et les comportements collusifs des firmes notamment dans des industries dont l’activité est construite sur le capital humain spécifique et la forte propension à innover des firmes. Une attention particulière pourra être portée sur les pôles de compétitivité et la façon dont les différents acteurs concernés attirent et fidélisent les talents. Les évolutions des structures de gouvernance, des normes comptables, sociales et environnementales, et les mécanismes de leur production.
  • L’analyse des inégalités et des discriminations. Sur le plan positif, il s’agira d’analyser la production d’inégalités sur un certain nombre de marchés (travail, éducation) mais également de comprendre les inégalités qui découlent des comportements de consommation des acteurs présents sur les marchés. Sur le plan normatif, il s’agira d’analyser comment la logique marchande engendre un accroissement des inégalités, des exclusions et des discriminations.
  • Sur le plan méthodologique, une pluralité de méthodes sera utilisée et discutée allant des entretiens (ethnographiques, sociologiques) aux traitements économétriques. Ces derniers porteront sur des bases de données existantes mais également sur des bases originales. En particulier, des données portant sur les décisions des tribunaux (sur des thématiques comme la contrefaçon ou les litiges sur les brevets) seront analysées afin d’étudier notamment les rapports entre soft law (régulation par les normes sociales, les engagements volontaires ou la réputation) et règles juridiques stricto sensu (de droit interne ou de droit international). Eléments de transversalité
  • Au sein de l’axe 2 « DIM » (Dynamique des Institutions et des Marchés), la question de la marchandisation d’objets immatériels trouvera un prolongement naturel avec les recherches menées par les autres programmes de travail de l’axe, notamment les analyses des droits de propriété intellectuelle (programme PROPICE), ainsi que des biens culturels et numériques (programme EGCN). Par ailleurs, le développement d’un marché de la santé fait naître des inégalités importantes, qui se cumulent à celles analysées dans la sphère du travail ou de l’éducation. Différentes interactions au sein de l’axe 2 (DIM) sont donc possibles et seront explorées.
  • La marchandisation de l’immatériel entretient des rapports étroits avec la financiarisation. C’est en effet souvent que ces objets entrent dans la sphère marchande sous forme d’actifs plutôt que de biens tangibles, par définition. L’instabilité propre à la finance se retrouve-t-elle dans ces nouveaux marchés, de brevets ou de services écosystémiques par exemple ? Et si oui, est-elle de même nature ? Des discussions sur ces points avec le programme DEFI seront certainement stimulantes.
  • Enfin, la crise financière et économique mène à des recompositions profondes au niveau macroéconomique international, sans que les disparités entre pays ne se comblent, bien au contraire. Les thématiques de l’inégalité, pensées ici dans un cadre national, sont abordées d’un point de vue macroéconomique par d’autres chercheurs du CEPN, et là encore, la confrontation de points de vue différents sur une même question de fond s’avèrera sans aucun doute fructueuse.